J'avais prévu un autre article, mais finalement dans la vie tout ne se passe pas comme on l'avait prévu n'est-ce pas ? Ce ne sera ni drôle, ni dans la veine de ce que vous pouvez lire habituellement. Mais ce qui s'est passé n'est pas habituel alors... J'ai le droit...
Mardi soir j'ai appris le décès d'une jeune fille avec qui je communiquais virtuellement. Nous étions sur le même groupe de soutien autour de la gastroparésie.
Elle avait 32 ans.
Elle avait une gastroparésie.
Maladie dont on n'entend jamais parlé, maladie silencieuse, maladie qu'elle ne supportait plus.
Elle a décidé de lâcher les armes, de ne plus se battre, de ne plus aller contre la nature. Difficile à entendre ? Injustice ? Colère ? Tristesse ? Amertume ?
Un mélange de sentiments s'est succédé au fond de moi et persiste encore. Les larmes ont coulé, et elles coulent encore par moment.
On ne pouvait pas se prétendre amies, ça serait mentir. On se connaissait, on se fréquentait, on partageait les mêmes problématiques, la douleur régulièrement, la fatigue parfois mais on se soutenait... souvent.
En août, tu m'as envoyé un message privé. Je ne m'y attendais pas. Je me suis demandée : "Pourquoi moi ?" Est-ce que tu avais confiance ? Est-ce que tu te retrouvais dans certaines paroles ?
Tu m'as dit que tu n'en pouvais plus. Que tu pesais 27 kg. Que tu refusais désormais d'être "gavée". Que tu ne voulais plus les nausées, les vomissements. Que tu aimais "trop" la nourriture pour en être privée...toujours.
Parce que la réalité est là. La nourriture c'est sacré et quand on en est privé on devient dingue. C'est une drogue, un besoin vital qui doit passer dans les veines.
Alors oui, la nutrition artificielle est ce fil qui nous relie à la vie. Elle permet de vivre, ou de survivre pour certains. Mais elle ne remplacera pas le goût délicieux du chocolat qui se diffuse sur les papilles et descend le long de la gorge pour atteindre l'estomac. Manger ce n'est pas seulement se remplir pour avoir de l’énergie, c'est profiter, c'est partager avec notre entourage.
J'ai été la première à me priver pour quelques kilos que je trouvais superflus. J'ai été la première à me dire que ce pain au chocolat je ferais mieux de l'éviter. Et aujourd'hui ? Aujourd'hui je donnerais tout pour faire un repas sans avoir envie de vomir, sans souffrir.
Parce que les gens ne voient pas toujours qu'il n'y a pas "que" les perfusions. Parce que la journée tu n'es reliée à rien et semble en excellente santé. Alors oui, je comprends ta lassitude.
Ce que je comprends moins, c'est l'abandon de la médecine. On t'a laissé t'éteindre de faim et de soif dans un abandon total de la part de cette médecine qui peut être parfois si formidable. Je trouve ça inhumain, une torture pure et dure. Alors comment ne pas réfléchir après ton départ ? Comment ne pas remettre en question ce qui nous entoure ? Comment ne pas remettre en question notre système ? La médecine est capable du meilleur comme du pire.
Combien de personnes comme toi faudra t-il pour qu'enfin on puisse envisager ce gros mot qu'est l'euthanasie comme quelque chose d'acceptable ? Parce qu'en France on "pique" les animaux, pour ne pas qu'ils souffrent mais nous sommes incapable de l'entendre pour un humain. Parce qu'en France on préfère laisser mourir les gens dans la souffrance que de les aider à partir dignement.
Alors oui je suis triste, pour toi, ta famille, tes proches mais je suis surtout en colère et dans un dégoût profond.
Depuis que j'ai appris ton décès, je me demande si de mon côté j'ai fait suffisamment. Est-ce que tu es venue parler avec cette parfaite inconnue que j'étais pour te soulager, ou était-ce un ultime appel à l'aide ?
Nous avons essayé de te convaincre que la vie valait la peine d'être vécue, mais tu étais déjà tellement décidée. Tu étais certaine de ton choix. Comment lutter ? Est-ce que nos mots pouvaient encore avoir un poids ? Est-ce que je dois me sentir coupable de ne pas avoir fait plus ? Est-ce que... ? Ces questions resteront sans réponse. Je ne saurais jamais ce que tu attendais de moi en venant me chercher. J'espère que "j'ai été" un espace d'expression. Une personne a qui tu as pu dire l'indicible. Parce qu'on ne peut pas dire à ses proches qu'on veut arrêter de vivre, c'est trop dur à porter. Mais à quelqu'un qui partage le même "combat" on peut plus facilement non ?
J'ai de la chance d'être entourée, je ne le dirais jamais assez et je ne remercierais jamais assez mon homme, ma famille, mes ami(e)s. C'est grâce à eux que je remonte à chaque fois pendant les moments de découragement, d'envie de lâcher prise. Parce que parfois derrière le sourire qu'on affiche se cache la tristesse, la douleur, la fatigue. C'est une réalité.
On m'a toujours dit " tu peux te laisser couler, mais au fond de la piscine le plus important est de pousser fort et de remonter à la surface".
Et si toi tu étais mieux au fond de la piscine ? Personne ne peut te juger.
Alors pour toi Anaëlle, on fera en sorte qu'un jour la médecine cesse d'errer, cesse de ne pas être
présente pour tous, cesse de nous laisser nous débattre face aux
problèmes et qu'elle devienne une échelle à poser dans cette fameuse piscine qui aidera le plus d'entre nous à refaire surface. C'est à ce jour tout ce que
je peux espérer.